"Le temps du combat des valeurs"

père Pierre Colombani
Recteur de la paroisse sainte Marie de Magadala de Toulon.

Voir tous ces morts et ces centaines de blessés au Bataclan, dans les rues de Paris, aux terrasses des cafés, donne le vertige et la colère nous pousse à vouloir crier vengeance. Or, c'est tout le contraire qu'il nous faut faire !

 

Les commanditaires de ces attentats, au-delà des individus les ayant perpétrés, attendent de notre part ce type de réaction pour provoquer une véritable guerre civile dans notre pays et déstabiliser toute la France, voire même, l'ensemble des pays

d'Occident.

L'Islam radical vient frapper à nos portes par le sang et, derrière lui, ce sont toutes les idéologies d'exclusion, de haine qui montrent leur vrai visage. Dès que l'on fustige une personne, un groupe, une ethnie, c'est alors le temps de la mort, qu'elle soit physique, morale, spirituelle. Notre guerre va devoir se porter non contre des personnes, ni contre une religion, mais bien contre l'idéologie de l'exclusion, du mensonge.

Il est légitime que, dans un premier temps, nos autorités prennent dans l'urgence des décisions de protection renforcée, par le déploiement des forces de police et par la présence accrue des militaires. Il faudra peut-être aussi réactiver plus de surveillance à nos frontières nationales, voire européennes. Mais les armes dans un tel combat seront d'un autre ordre...

Si les commanditaires de ces tueries peuvent utiliser des individus désoeuvrés chez nous, c'est bien que nous avons laissé se développer des poches de notre territoire, dans les cités notamment, où la misère n'est pas seulement économique, elle est d'abord culturelle et identitaire. Quand des enfants, des jeunes, ne s'identifient plus à leur propre pays et parlent des "Français", comme s'ils n'en faisaient pas partie, lançant ce mot comme une insulte, on mesure l'enjeu de la fracture sociale qui

traverse notre pays.

Il ne s'agit pas de faire du "misérabilisme", ni de tomber dans la niaiserie de la culpabilité. Mais une grande partie de notre jeunesse n'a comme horizon que les tablettes, les derniers gadgets à la mode et souvent, comme seul corollaire la drogue, pour financer leurs désirs suscités par une société consumériste.

Autrement dit, quelle alternative offrons-nous, actuellement, à tous ces jeunes sans perspectives ? Les armes qu'il faudra trouver se nomment culture, pensée, esprit critique. Cela signifie qu'il faut cesser d'avoir une école qui nivelle toujours par le bas, comme ce sera encore le cas dans la prochaine réforme des collèges. Cela exige plus de moyens pour sortir tous ces êtres de leurs ghettos. Mais surtout, cela souligne un manque absolu, dans notre société française, de références qui suscitent une élévation, un dépassement de soi, un idéal de vie.

Nous avons confondu la laïcité avec une absence de valeurs et les mots sonnent tellement creux quand nous proclamons la démocratie, la liberté, l'égalité, la fraternité. Quand tout est gangréné par l'argent, le mensonge, les manipulations au coeur même de toutes nos élites, la perspective d'un idéal s'efface et il ne reste plus, pour certains, qu'un dégoût et l'envie d'en découdre avec une société qui apparaît comme décadente.

 

Ce qu'il nous faut redonner à notre jeunesse c'est un idéal à servir en vue d'un Bien Commun. L'appartenance à un pays, à une histoire, une culture, demande d'associer et d'intégrer tous les nouveaux apports, sans pour autant rejeter le passé, ni vouloir toujours opposer les uns et les autres. Mais tout cela demande surtout de trouver une transcendance, une spiritualité. Elle ne sera pas nécessairement religieuse et j'apprécie la réflexion du philosophe athée, André Comte Sponville, qui évoque une spiritualité sans religion. Mais que l'on soit croyant, agnostique, athée, chacun doit vivre une transcendance pour élever sa vie, trouver un idéal, et le rôle de la société est bien de fédérer tout cela en un idéal commun de vie qui permette le désir d'un vivre ensemble.

Nos politiques actuels sont d'un niveau tellement bas que tout se limite à des combats de petits chefs. Ils n'ont pas le sens de l'État, pas de rapport à l'Histoire, enfermés dans leurs petites combines de pouvoir.

 

Le temps est venu de trouver un chemin de renouveau si l'on veut éviter que, de plus en plus, des jeunes se laissent prendre par la propagande des djihadistes, et pensent trouver dans ces combats le lieu pour un idéal.

Entendons, par conséquent, l'urgence de nous approprier des valeurs pour un vivre ensemble, en convoquant tous ceux qui peuvent les susciter, et non pas nous enfermer dans le refuge d'une laïcité qui ne correspond à aucune valeur, sous couvert de les accepter toutes dans la tolérance. Car une hiérarchisation s'impose pour signifier que l'essentiel est bien la valeur de la dignité de toute personne humaine, et que cela exige que nous trouvions d'autres fondements pour rendre vivante la conscience de l'appartenance à un destin partagé. En un mot, retrouvons l'âme de notre humanité.

 

père Pierre